

Il fut un temps où la Formule 1 n'était pas encore complètement commercialisée. Quand l'audace, la folie et les bouteilles de whisky étaient tout aussi importantes que les données aérodynamiques. Au début des années 1970, dans cette niche, quelque part entre la haute noblesse britannique et une équipe de guérilla, se trouvait un homme qui trouvait tout suspect dans le sport automobile moderne, sauf la course elle-même. Son nom : Lord Thomas Alexander Fermor-Hesketh, 3e baron Hesketh.
Ce jeune aristocrate, qui avait quitté Oxford, mais qui était très aisé, fonda sa propre écurie de course en 1972, à l'âge de 20 ans. D'abord en Formule 3, puis, presque par défi, directement dans la cour des grands, en Formule 1. Sans sponsors, sans plan économique, mais avec une vision claire : affronter le cirque avec dignité et anarchie. Hesketh Racing était l'opposé d'une écurie d'entreprise. Pas de cheval bondissant sur fond jaune, pas de rouge Marlboro, pas de jaune Shell, mais un ours en peluche avec un casque comme logo. Sans blague : l'ours casqué avec l'Union Jack était l'emblème officiel de l'équipe et trônait fièrement sur la voiture.
Selon ses propres dires, Lord Hesketh aurait découvert une carte postale avec un ours en peluche dans la chambre d'une prostituée. Il a alors décidé sur-le-champ de lui dessiner un casque : le logo était né.
Un chaos parfait
L'équipe de Formule 1 de Hesketh était une rébellion aristocratique sur roues : au lieu de conférences de presse, il y avait des réceptions au champagne, et au lieu de réunions avec les pilotes après les séances d'entraînement, on servait du whisky. Le camion de l'équipe était un bus à impériale transformé en salon roulant, avec lustres et tout le tralala. Les mécaniciens portaient des costumes sur mesure, et au milieu d'eux, un jeune James Hunt, qui appréciait autant le chaos que le minibar gratuit. Hunt était rapide, sauvage, opposé à la monogamie et difficilement compatible avec une équipe de course ordinaire. Parfait pour Hesketh, donc.
Malgré toute cette excentricité, une petite équipe très efficace travaillait en coulisses sous la houlette de l'ingénieur en chef Harvey Postlethwaite, alliant excellence technique et style anti-autoritaire. La récompense : la victoire au Grand Prix des Pays-Bas 1975 à Zandvoort, un triomphe contre toutes les règles de la raison, célébré avec des foulards en soie, des cigares et la certitude d'avoir écrit une page de l'histoire du sport automobile. Ce fut la dernière victoire d'une équipe de Formule 1 sans logo de sponsor.
Mais toute fête a une fin. Sans bailleurs de fonds externes, la fortune personnelle de Hesketh s'est rapidement tarie. La Formule 1 est devenue plus professionnelle, plus économique et plus technologique. En 1976, l'équipe s'est retirée, James Hunt est passé chez McLaren et est devenu champion du monde la même année. Ce qui restait de Hesketh Racing, c'était le mythe d'avoir fait sauter les bouchons de champagne au moins une fois aux grands noms conservateurs comme Ferrari.
Lord Hesketh lui-même se tourna plus tard vers la politique et devint même, d'une manière ou d'une autre, ministre de l'Économie sous Margaret Thatcher. Le dandy devint un fonctionnaire, gardant toujours en mémoire ces années folles, symbole d'une époque où un peu de folie était encore permise.
À la question de savoir ce qui distinguait son équipe des autres, le lord répondit avec son humour habituel : « Nous étions les seuls à ne pas prétendre que nous faisions cela pour améliorer le monde. » Une phrase aussi pertinente qu'un ours en peluche avec un casque.
Texte: GAT
Photos: Hesketh